furomaju

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2020年4月23日木曜日

Lo-shi sur Radio MNE

Je vous recommande vivement d'écouter l'émission In The City de Radio MNE (Mulhouse) consacrée à la musique indépendante japonaise. Mon groupe Lo-shi y fait une apparition, entre plein de très très bonnes choses.

Merci !

https://inthecityradio.blogspot.com/2020/04/in-city-3-tokyo.html


Party In My Heart : une compilation pour soutenir la scène musicale indépendante tokyoïte







À vrai dire, je n’ai jamais compris pourquoi certaines revues de musique s’acharnaient à noter les disques chroniqués, l’exemple le plus loufoque étant celui de Pitchfork.com, a.k.a. Pitre-fork, qui pousse le vice scolaire en allant jusqu’à la décimale : 8,5/10 pour Washing Machine de Sonic Youth, par exemple. Foutredieu ! Il méritait pourtant un petit 9,48 ! Ah… C’est sans doute une volonté un peu louche d’objectivité quantifiable, de « scientificité » et donc du sérieux, de la respectabilité qui vont avec, mais franchement, ils en arrivent plutôt au résultat inverse : passer pour des baltringues en linoléum, aussi crédibles qu’un parti politique en temps de grève générale. Mais imaginons un instant que la Science se penche sur la dernière compilation du label Call and Response Records, Party In My Heart : il me semble qu’Elle pourrait aller jusqu’à la note de 8,289 — tant pour les qualités musicales et la diversité prolixe du machin que pour la démarche du bordel, la générosité du truc.


Machin, bordel, truc : le bouzin est en effet difficile à définir. Je vais commencer par le contexte. Tokyo, avril 2020 : les pisses de flûte du gouvernement sont sortis du déni, ont enfin déclaré l’état d’urgence, la distanciation sociale et le confinement sont donc fortement conseillés afin de ne pas répandre le virus. Effet pervers de cette décision de bon sens : un bon nombre de commerces voient leur activité menacée économiquement, dont bien sûr les live houses et les live bars. Les voilà pris dans une double contrainte : s’ils restent ouverts, ils mettent tout le monde en danger et s’exposent aux critiques, tandis que s’ils ferment, ils risquent la faillite et la fermeture définitive.


D’où, pour des déviants créatifs tels que mes amis et moi, quelques inquiétudes légitimes. On le sent assez moyen pour beaucoup de lieux qui nous tiennent à cœur, lieux réfractaires au conformisme, lieux qui nous ont toujours accueillis, nous et nos évènements alternatifs (=qui marchent une fois sur deux), lieux qui permettent l’existence de notre communauté, la création de scènes artistiques indépendantes et accessoirement de ne pas devenir fou d’isolement ou d’incompréhension, dans cette ville immense, qui ne voit pas d’un très bon œil les moutons noirs de la contre-culture, ni les minorités en général. Omotenashi mon cul, dirait la Zazie de Queneau.


Du coup, Ian Martin, fondateur du label indépendant Call and Response Records (label principalement dédié au post-punk, à la new wave et à la pop expérimentale) a décidé de lancer une campagne de dons en ligne pour aider trois de ces lieux en particulier : ce n’est pas grand chose, mais c’est largement mieux que rien, vu l’incurie du gouvernement, qui pour l’instant s’en beurre le torse. Ces trois refuges sont les live bars SubStore et Green Apple, toujours partants pour soutenir le label et les concerts qu’il organise, et le restaurant Bamii, repaire de freaks contestataires en tout genre, pas cher, ouvert jusqu’à pas d’heure, bien fourni en vinyles (plus de 20 000!) et en alcools hasardeux. Donc voilà, chacun peut faire un don, à partir de 500 yens (environ 4 euros) pour les soutenir en allant à cette adresse : https://tinyurl.com/ury9teg. Pour faire vivre la page, montrer à quoi ça ressemble et inciter à donner, Ian met presque chaque jour en ligne de la musique à télécharger gratuitement, des clips… On arrive enfin à la compile en question. L’idée était de produire, en deux jours, un album de reprises réalisé par les habitués des lieux en questions, musiciens, fans, amis, et de le rendre téléchargeable gratuitement sur la page de la campagne de dons. Sur le papier, ça suce : on sent venir la purée de pois musicale, le flan au pruneau torché à la six-quatre-deux par des manustuprateurs confinés (1) sous perfusion de hoppy. Mais en fait non !







Substore, Green Apple et Bamii (quartier de Koenji, Tokyo)
On trouvera sur la compile dix-sept reprises des artistes et groupes suivants : The Velvet Underground, Mission of Burma, Flying Saucer Attack, Dobby Dobson, The Chills, Bone Thugs-n-Harmony, Brian Eno, David Bowie, Silver Jews, The-Dream, Smog, The Postal Service, Disq, Syd Barrett, The Slits… Pas les pires références. Reprises plus ou moins fidèles aux morceaux originaux (et qui donnent envie de les écouter ou de les réécouter), dans des genres variés, allant du noise-rock au folk, en passant par l’ambient, le kraut n’bass, la pop , le punk-rock au kazoo… Un beau et gros bibimbap, nourrissant sans être étouffe-marxiste pour autant, grâce à cette diversité générique et aux contrastes, parfois comiques, qu’elle autorise.
Alors personnellement j’aime toutes les pistes, mais j’ai un faible pour la reprise, en japonais, de By This River de Brian Eno (la plus belle chanson du monde) par le mystérieux duo Minitron, la reprise de Shoplifter de The Slits par Arafo, la piste de A Former Airline (je ne connais pas l’original), et puis la mienne bien sûr, (Locked Down) Heroes, en hommage dark ambient à Bowie, car il paraît qu’on peut sauver des vies juste en restant en slip sur son canapé à manger des chips au panda. Mais sérieusement tout est bien donc écoutez-le plutôt :

 https://soundcloud.com/callandresponse/this-place-is-a-prison-tete?in=callandresponse/sets/party-in-my-heart

Encore deux ou trois choses et j’arrête.
Le processus de création de cette compilation me semble intéressant en ce sens qu’il prend à contre-pied les histoires inspirantes d’inconnus qui se regroupent grâce au net pour réaliser un beau projet IRL ; ici au contraire, tous se connaissent, habitent dans la même ville, sont parfois voisins, et se réunissent sur internet pour soutenir les lieux de leur communauté. Aussi, on retrouve la diversité de rigueur dans nos terrains de jeu ; nos évènements sont les moins sectaires, les moins standardisés du monde, on peut passer d’un genre à un autre sans que personne n’y trouve rien à redire, au contraire. Dans cette compile, on a l’impression que les participants ont essayé de recréer virtuellement ces évènements réels désormais impossibles à organiser, et ce jusqu’à nouvel ordre (au sens propre).


Une autre chose m’a frappé, rien qu’en lisant les titres : cette compilation, sans naturellement être un concept album, propose une sorte de narration diffuse. C’est pour moi l’histoire d’une fête, de type mal partie. Et l’absence de cette fête. On commence par This Place Is A Prison : la référence à l’auto-isolement est évidente. Puis une certaine forme d’amour, et les confinés peuvent être des héros, même pour une journée (ou vraisemblablement pour six mois). La chanson-titre résume bien l’attitude à garder face au marasme et à la dépression : Party In My Heart, tout en gardant son sang froid dans ces temps difficiles (Cold Blooded Old Times). Konnichiwa Internet ! Internet c’est vraiment bien, c’est vraiment la fête, sans lui on serait mal. That’s How I Escaped My Certain Fate : en faisant de la musique à la maison, en essayant de ne pas se complaire dans le désespoir neurasthénique. Un petit karaoké bourré de fin de soirée (Shoplifting), et le jour se lève, ça nous apprendra, mais rien de triste : c’est le temps des voluptueuses After Hours… Une (absence de) fête inoubliable, en somme.

Liens : https://callandresponse.jimdofree.com/ (le site du label Call And Response Records)
https://soundcloud.com/callandresponse (le compte soundcould du label)
https://substore.jimdofree.com/ (le site de SubStore)
http://greenapple.gr.jp/ (le site de Green Apple)
https://www.facebook.com/cafe.ethnic.bamii/ (la page FaceBook de Bamii)


(1) Si on peut s’estimer chanceux d’être confinés, par rapport à la chair à kaisha qui continue à se rendre au boulot tous les jours, prenant les coronaboxes blindées aux heures de pointe, ce privilège est à relativiser ; beaucoup de précaires (tel est en général la condition de l’artiste indépendant au Japon, pas de subventions ni de statut spécial) risquent de perdre leur travail, et j’ai lu quelque part que des politiciens du PLD voudraient que les compensations étatiques n’aillent pas dans la poche des étrangers…

Humour, révolte et créativité : les stickers sauvages de Tokyo




DISC LAMER : Ce texte, purement informatif, n’a pas pour ambition de faire l’apologie du vandalisme et encore moins de l’encourager.

Je ne sais pas si vous vous souvenez du jeu vidéo Jet Set Radio, sur la mythique console Dreamcast de Sega. Le but principal du jeu était de taguer avec votre crew les rues d’une ville semi-fictive, Tokyo-To, fortement inspirée de Tokyo, en vous jouant des types patibulaires de la maréchaussée et des gangs rivaux un tantinet sadiques. Jeu excellent, sans doute dans mon top 10 des meilleurs jeux de tous les temps (avec The Last Express, Toilet Kid, Altered Beast et quelques autres) mais sans aucun rapport avec la réalité du street art à Tokyo.


***-*let’ play more / street art thank you !
En effet, à Tokyo comme ailleurs au Japon, et ce n’est pas un scoop, les gens respectent les règles. La ville est d’une sécurité et d’une propreté impressionnante. On pourrait presque lécher le sol tellement c’est propre, bon, bien sûr, on passerait un petit peu pour un fou furieux. La contrepartie, c’est que la ville est assez ennuyeuse pour tout ce qui concerne le street art : très peu de tags, de graffs, de fresques (à part à Shibuya), par ailleurs souvent décevants car peu inventifs. Et je passe sous silence le street art officiel, de commande, car ça ne m’intéresse pas. Cette quasi-absence de street art peut s’expliquer à la fois par des raisons culturelles (sur lesquelles je ne vais pas m’appesantir) tout comme par la présence de lois anti-vandalisme qui ne plaisantent pas.
Contrepartie de la contrepartie : les stickers ! Le promeneur attentif aura remarqué leur omniprésence sur les bornes électriques, les poteaux, derrière les panneaux, aux abords des stations, dans les live housesIl suffit de regarder un peu attentivement : ils sont partout ! Oui, l’affichage non-autorisé de stickers est lui aussi illégal, mais les chances de se faire choper sont tout de même moins élevées que pour un graff, il suffit de quelques secondes et hop, ni vu ni connu, on se casse sur Mars. Un graff prendrait bien plus de temps, et dans une ville d’une telle densité, impossible de ne pas se faire repérer et donc de risquer une petite garde-à-vue de 20 jours assortie d’une amende. Le recours massif au sticker pour les street artists relève donc du pur et simple pragmatisme.




Les stickers que l’on trouve à Tokyo (ainsi que dans les grandes villes du Japon) mêlent créativité, humour, insolence, mauvais goût, revendications politiques, et apportent un peu de sauvagerie, qui manque à l’hygiénisme urbain ripoliné en vigueur au Japon. Ils sont évidemment arrachés, nettoyés, car la ville doit être clean, surtout en vue des Jeux Olympiques, qui auront  lieu l'an prochain, et on peut s’attendre à ce que les stickers disparaissent en deux-deux. On peut pourtant, à l’aseptisé, préférer l’hirsute, l’impur, l’imprévu, tout ce qui nous rappelle que la vie est improvisation créatrice. Les stickers en sont une des rares manifestations, dans un espace public saturé par la pub, vraie pollution visuelle décervelante, bien plus nuisible qu’un pauvre autocollant de quelques centimètres. Le street art, le vrai ; l’illégalisme créatif, constitue un acte concret de résistance au pouvoir, qui dépense un pognon de dingue pour l’effacer. Si j’étais disciple de Derrida ou de Deleuze j’évoquerais bien les concepts de déconstruction, de déterritorialisation, mais honnêtement je préfère Vaneigem et Gaston Lagaffe.

Je parlerais donc de contre-culture, et non pas de sous-culture ou subculture : les prépositions ont leur importance. On y trouve de l’art figuratif inventif avec toutes sortes de monstres, de personnages louches, de masques, d’animaux plein de poils qui bavent, mais aussi des messages politiques, des déclarations anti-nucléaire, des caricatures plus ou moins agressives du premier ministre, des messages de soutien aux luttes à Hong-Kong, d’autres réclamant le mariage gay, etc, des choses parfois délicatement obscènes, des logos de labels musicaux, du pur non-sens, du délire verbal, collés à l’arrache par des types et des typettes qui ne rentrent pas dans les cases et se réapproprient un peu la ville, en y mettant de la couleur, de la politique et de la libido. C’est modeste ; ce n’est pas rien. Je suis sensible aux micro-résistances marginales.


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La prochaine fois que vous vous promènerez dans des quartiers comme Shibuya, Shinjuku, Koenji, Ikebukuro, je vous invite à bien ouvrir les yeux et à prêter attention à ces drôles de bouts de papiers baroques et bigarrés, qui contribuent à rendre la marche dans Tokyo toujours pleine de surprises : on ne cherche pas, on trouve ! Certains les collectionnent en les prenant en photo : bonne idée pour en garder des traces et activité franchement moins débile que Pokemon Go ! (bon j’avoue, j’y ai joué, mais c’était pour avoir le plus possible d’oiseaux à deux têtes, et puis pour les pokestops aussi, qui m’ont par exemple fait découvrir l’énorme phalle de pierre du sanctuaire Hanazono, mais c’est une autre histoire)
Si les stickers tokyoïtes vous intéressent, je recommande de suivre le compte instagram @Tokyostickerart : https://www.instagram.com/tokyostickerart/






je pense que le message s’adresse aux nazis et pas aux Néo-zélandais

Tokyo, Kōenji : protestation contre la gentrification programmée

La rue, à Tokyo, est avant tout un lieu de passage : absence quasi-totale de bancs, rareté des places, nous sommes bel et bien dans la « culture du chemin », ou du cheminement, définie par Augustin Berque (voir Vivre l’espace au Japon, PUF). En dehors des matsuri (festivals, fêtes populaires traditionnelles), ce lieu de passage est essentiellement marchand et tend à le devenir de plus en plus : l’espace public est avant tout pensé pour satisfaire les besoins de monades consuméristes. Il est aussi sévèrement saturé par la pub, plus ou moins agressive, en tout cas omniprésente. 



Prenons pour contre-exemple le quartier de Kōenji, situé à quelques stations à l’ouest de Shinjuku. Ce quartier, haut lieu de la contre-culture tokyoïte (du punk aux arts expérimentaux), étonne par son caractère réfractaire. Réfractaire d’un point de vue urbanistique, car il faut bien le dire, c’est un peu le bordel (au point que certains ont pu le surnommer « l’Inde de Tokyo ») : un labyrinthe de petites échoppes, de disquaires, de live houses, de friperies, de bouges plus ou moins louches, dans lequel on croise toute sorte de freaks, de musiciens fauchés, d’artistes indifférents aux tendances, de types hauts en couleurs, d’illuminés, d’excentriques de tout poil et par contre, peu de cols blancs (a.k.a. l’attaque des clones) — bref, on y trouve des individus ! 

Réfractaire politiquement tout aussi bien, ce qui est rare dans un pays globalement dépolitisé, dans lequel on vit dans le néo-libéralisme comme on vivrait à la montagne. On compte à Kōenji de nombreux activistes, anars, communistes libertaires, militants anti-nucléaire, opposants au gouvernement, etc. L’un d’eux, Hajime Matsumoto, fondateur du collectif Shirōto no ran (littéralement « la révolte des amateurs », shirōran pour les intimes), a décidé en novembre dernier d’organiser une manifestation visant à empêcher la gentrification programmée du quartier. 

En effet, la mairie de Suginami-ku (l’arrondissement de Kōenji) a évoqué, sans en préciser la date exacte, un plan de redéveloppement du quartier, prévoyant la construction d’une grande route, qui couperait le quartier en deux, prétendument pour en faciliter l’accès aux véhicules de secours. Mais en réalité, cela reviendrait à détruire tout ce qui fait le charme du quartier, son bordel, sa diversité ; s’ensuivraient inévitablement une hausse des loyers, l’arrivée de familles (« familles, je vous hais » écrivait André Gide ; sans aller jusque-là, « familles, restez là où vous êtes » me paraît être de bon conseil), de centres commerciaux, et voilà comment un des quartiers les plus respirables de Tokyo deviendrait conforme, docile, prout-prout… La compagnie ferroviaire Odakyū nous avait déjà fait un coup semblable avec Shimokitazawa, peu enthousiasmant à la base, et qui ne ressemble plus à rien maintenant. 




Dessins de Hajime Matsumoto 

Certains, à propos des Grands Travaux parisiens entrepris par le Baron Haussmann, ont parlé d’ « embellissement stratégique ». Le Baron se voulait esthète, certes à la mie de pain mais esthète tout de même (« j’ai le culte du Beau, du Bien, des grandes choses, de la belle nature inspirant le grand art ») et souhaitait, grâce aux larges boulevards, rendre laborieuse, sinon impossible, la construction de barricades et faciliter l’accès des « forces de l’ordre » (défense de rire) aux quartiers ouvriers. Toutes proportions gardées, je crois qu’on peut ici évoquer une volonté d’enlaidissement stratégique : en défigurant Koenji, en le gentrifiant, les vandales feraient à moyen terme partir tous les freaks contestataires que nous évoquions. Tout ce que la gentrification pourrait avoir de positif (amélioration de la qualité de vie, baisse de la criminalité) est ici sans objet ; le quartier, aussi sûr que n’importe quel autre, est parfaitement achalandé, et bien desservi. Allez vous faire foutre. 

Bref, il s’agit de sauver ce labyrinthe d’un Minotaure venu de l’extérieur : le Grand Commerce, la « Phynance » comme l’appelait Jarry. Dimanche 10 novembre 2019, les habitants du quartier, mais pas uniquement eux, tous ceux qui, sans forcément y résider, sont attachés à ce quartier (je crois qu’on peut même utiliser le mot de « communauté »), se sont rassemblés en début d’après-midi au Parc Central (bien connu des lecteurs de Haruki Murakami : c’est le fameux parc d’1Q84). Dans la fraîcheur et la superbe lumière de l’automne tokyoïte, l’organisateur Hajime Matsumoto a prononcé un discours résumant la situation, insistant sur l’autonomie du quartier, puis ce fut au tour de l’activiste et essayiste Karin Amamiya, puis d’Andy, propriétaire du bar-disquaire SubStore, puis de Ian Martin, fondateur du label post-punk Call and Response, et de quelques autres dont je n’ai pas retenu les noms. Départ du cortège vers 14h30 : la manifestation tant attendue peut enfin commencer. 

Quelle manif ! J’en ai fait quelques-unes à Tokyo, celle du 1er mai par exemple, ou encore les manifs anti-nucléaire après le 11 mars 2011, mais celle-ci était, de loin, la plus folle et la plus festive, malgré un nombre de manifestants incomparable (quelques centaines de personnes ?) — De la musique : concerts, DJ sur des chars — et de la bonne musique : punk, électro, ça change de Zebda ou de Magik System (eh les Français, faut vraiment arrêter avec ça !), des pancartes, des slogans, des gens qui se parlent — je répète : des gens qui se parlent !, des rires, tout cela pendant plusieurs heures, et ce malgré un dispositif policier démesuré (les pipo-kun comme on les surnomme ici, d’après leur mascotte infantilisante, étaient presque aussi nombreux que les manifestants : à quoi s’attendaient-ils ? inutile de préciser que l’ambiance était bon enfant, il n’y a d’ailleurs eu aucune arrestation). La manif a duré environ deux heures, le cortège étant allé de Kōenji jusqu’au quartier voisin d’Asagaya. 


C’est merveilleux, contre l’hégémonie du commerce, de se réapproprier la rue, l’espace public, physiquement, en marchant, mais aussi par le son, d’habitude saturé par les annonces commerciales, les messages d’avertissement, les slogans des politiciens (en période d’élection : pure nuisance sonore, c’est insupportable). J’ai toujours vu Kōenji comme ça : un lieu où l’on peut être soi-même, se sentir incarné, sans crainte du jugement d’autrui (à noter que les passants étaient, ce jour-là, tout à fait bienveillants, plutôt curieux et amusés) et de la pression sociale (ce ne sont pas des vains mots, ici). Pouvoir se différencier sans s’exclure. Utopie localisée ? Il ne faut rien exagérer, mais on n’en est pas si loin. Un lieu en tout cas propice aux dérives, aux rencontres, à toute la poésie de la vie quotidienne, et qui se doit d’échapper aux calculs sordides d’urbanistes bornés. 

Loin donc du « kitsch de la grande marche » dont parle Milan Kundera, rien de solennel, de « sérieux », mais au contraire, un grand entrelacs bigarré, bruyant et foutraque. Même s’il n’effraie sans doute pas le pouvoir, il aura au moins apporté le temps d’un après-midi la joie d’être ensemble, la joie de constater qu’il existe encore un peu de résistance à la laideur marchande — qui commence à sérieusement me les chauffer.