DISC LAMER : Ce texte, purement informatif, n’a pas pour ambition de faire l’apologie du vandalisme et encore moins de l’encourager.
Je ne sais pas si vous vous souvenez du jeu vidéo Jet Set Radio, sur la mythique console Dreamcast de Sega. Le but principal du jeu était de taguer avec votre crew
les rues d’une ville semi-fictive, Tokyo-To, fortement inspirée de
Tokyo, en vous jouant des types patibulaires de la maréchaussée et des
gangs rivaux un tantinet sadiques. Jeu excellent, sans doute dans mon
top 10 des meilleurs jeux de tous les temps (avec The Last Express, Toilet Kid, Altered Beast et quelques autres) mais sans aucun rapport avec la réalité du street art à Tokyo.
En effet, à Tokyo comme ailleurs au Japon, et ce n’est pas un scoop, les gens respectent les règles. La ville est d’une sécurité et d’une propreté impressionnante. On pourrait presque lécher le sol tellement c’est propre, bon, bien sûr, on passerait un petit peu pour un fou furieux. La contrepartie, c’est que la ville est assez ennuyeuse pour tout ce qui concerne le street art : très peu de tags,
de graffs, de fresques (à part à Shibuya), par ailleurs souvent
décevants car peu inventifs. Et je passe sous silence le street art
officiel, de commande, car ça ne m’intéresse pas. Cette quasi-absence de
street art peut s’expliquer à la fois par des raisons culturelles (sur lesquelles je ne vais pas m’appesantir) tout comme par la présence de lois anti-vandalisme qui ne plaisantent pas.
Contrepartie de la contrepartie : les stickers
! Le promeneur attentif aura remarqué leur omniprésence sur les bornes
électriques, les poteaux, derrière les panneaux, aux abords des
stations, dans les live houses… Il suffit de regarder un peu attentivement : ils sont partout ! Oui,
l’affichage non-autorisé de stickers est lui aussi illégal, mais les
chances de se faire choper sont tout de même moins élevées que pour un
graff, il suffit de quelques secondes et hop, ni vu ni connu, on se casse sur Mars.
Un graff prendrait bien plus de temps, et dans une ville d’une telle
densité, impossible de ne pas se faire repérer et donc de risquer une
petite garde-à-vue de 20 jours assortie d’une amende. Le recours massif
au sticker pour les street artists relève donc du pur et simple pragmatisme.
Les stickers que l’on trouve à Tokyo (ainsi que dans les grandes villes du Japon) mêlent créativité, humour, insolence, mauvais goût, revendications politiques, et apportent un peu de sauvagerie, qui manque à l’hygiénisme urbain ripoliné en vigueur au Japon. Ils sont évidemment arrachés, nettoyés, car la ville doit être clean,
surtout en vue des Jeux Olympiques, qui auront
lieu l'an prochain, et on peut s’attendre à ce que les stickers
disparaissent en deux-deux. On peut pourtant, à l’aseptisé, préférer l’hirsute, l’impur, l’imprévu, tout ce qui nous rappelle que la vie est improvisation créatrice. Les stickers en sont une des rares manifestations, dans un espace public saturé par la pub, vraie pollution visuelle
décervelante, bien plus nuisible qu’un pauvre autocollant de quelques
centimètres. Le street art, le vrai ; l’illégalisme créatif, constitue
un acte concret de résistance au pouvoir, qui dépense un pognon de dingue
pour l’effacer. Si j’étais disciple de Derrida ou de Deleuze
j’évoquerais bien les concepts de déconstruction, de
déterritorialisation, mais honnêtement je préfère Vaneigem et Gaston Lagaffe.
Je parlerais donc de contre-culture, et non pas de sous-culture ou subculture : les prépositions ont leur importance. On y trouve de l’art figuratif inventif avec toutes sortes de monstres, de personnages louches, de masques, d’animaux plein de poils qui bavent, mais aussi des messages politiques,
des déclarations anti-nucléaire, des caricatures plus ou moins
agressives du premier ministre, des messages de soutien aux luttes à
Hong-Kong, d’autres réclamant le mariage gay, etc, des choses parfois délicatement obscènes, des logos de labels musicaux, du pur non-sens, du délire verbal, collés à l’arrache par des types et des typettes qui ne rentrent pas dans les cases et se réapproprient un peu la ville,
en y mettant de la couleur, de la politique et de la libido. C’est
modeste ; ce n’est pas rien. Je suis sensible aux micro-résistances
marginales.
La
prochaine fois que vous vous promènerez dans des quartiers comme
Shibuya, Shinjuku, Koenji, Ikebukuro, je vous invite à bien ouvrir les
yeux et à prêter attention à ces drôles de bouts de papiers baroques et bigarrés, qui contribuent à rendre la marche dans Tokyo toujours pleine de surprises : on ne cherche pas, on trouve ! Certains les collectionnent en les prenant en photo : bonne idée pour en garder des traces et activité franchement moins débile que Pokemon Go ! (bon j’avoue, j’y ai joué, mais c’était pour avoir le plus possible d’oiseaux à deux têtes, et puis pour les pokestops aussi, qui m’ont par exemple fait découvrir l’énorme phalle de pierre du sanctuaire Hanazono, mais c’est une autre histoire)
Si les stickers tokyoïtes vous intéressent, je recommande de suivre le compte instagram @Tokyostickerart : https://www.instagram.com/tokyostickerart/