furomaju

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2018年8月3日金曜日

Jarry et le Japon 6

Une réduction, madame



L'autre jour, en faisant des recherches sur Jarry, je suis tombé sur un article publié sur le site monpremiersiteinternet.com dont le moins qu’on puisse en dire est que les rédacteurs n'y mâchent pas leurs mots. L'auteur de l’article, un certain Deeplake, commence par affirmer que Jarry était « l’un des écrivains qui avait la plus grosse b... de la littérature française ». Il ne croit pas si bien dire ! Sans même penser au phallisme omniprésent dans les oeuvres de Jarry (du "Bâton à physique" d'Ubu aux exploits sexuels et cyclistes de Marcueil dans Le Surmâle), je pense que l'on peut prendre une telle assertion au pied de la lettre. Jarry avait en effet disposé sur la cheminée de son appartement parisien du 7, rue Cassette, « La Grande Chasublerie » comme il le surnommait, un énorme phalle de pierre, que lui avait offert Félicien Rops (si l'on en croit le témoignage d'Apollinaire). Dans l’Antiquité, les représentations phalliques étaient sans rapport avec un quelconque érotisme, mais avaient pour fonction de  conjurer le mauvais sort, d’écarter les maléfices et d’apporter la prospérité ; il est toujours bon d’avoir un phallus sur la cheminée. Une visiteuse lui ayant demandé s’il s’agissait d'un moulage, Jarry aurait immédiatement répondu : « une réduction, madame ». Suite à cela, pour éviter toute remarque embarrassante, Jarry recouvrait toujours son chibre d'une calotte de velours violet. 

L'anecdote est relativement connue. Ce que j'ignorais, c'est que ce phalle avait été sculpté par un Japonais (toujours selon Apollinaire). Impossible d'en savoir plus sur l’identité du sculpteur, mais selon moi, il ne fait pas de doute que cette sculpture  ne soit à mettre en relation avec un certain culte shintô du phallus. Il existe en effet au Japon, encore de nos jours, un culte de ce genre, célébré chaque année au printemps dans la ville de Kawasaki, province de Kanagawa, lors du festival Kanamara matsuri. Kana signifie or ou métal, et Mara est un mot bouddhiste pour désigner le sexe de l'homme, ou encore, intéressant, l'obstacle à la pratique religieuse : « Il faut toujours que notre sexe fasse une ombre sur notre ventre », écrivait Picabia… Il se compose des caractères « soie » et « polir », pas besoin de faire un dessin. Ce culte proviendrait d'une légende ancienne, qui raconte qu’un démon a pris possession du vagin d'une jeune femme puis a sectionné à coups de dents le... oui, parfaitement, de deux types. Un artisan a alors forgé un phallus d'acier pour briser les dents du démon, phallus devenu relique sacrée, placée au sanctuaire Kanayama à Kawasaki. Depuis, ce sanctuaire est un lieu de pèlerinage pour les couples souhaitant prier pour leur fertilité. Il fut aussi fréquenté par les prostituées (protection supposée contre les maladies vénériennes). De nos jours, le festival du Kanamara se présente comme un événement anti-discriminations, accueillant la communauté LGBT : aucune crispation du shintô à son égard ; les cathos devraient en prendre de la graine. Pendant la parade, trois mikoshi (temples portatifs) contenant chacun leur propre phallus (grand et rose) sont portés dans les rues de la ville. On peut aussi y savourer des petites sucettes en forme de zizi. (Par contre, si le phallus passe si j'ose dire sans problème, les organes génitaux de la femme n'ont pas droit au même traitement : souvenons-nous de l'artiste Megumi Igarashi, alias Rokudenashiko, littéralement « la petite vaurienne », qui avait eu, de façon scandaleuse, de sérieux problèmes avec les autorités pour avoir réalisé, entre autres, un kayak d'après la forme de sa vulve, il y a quelques années [1]).

Notons également que Rops a représenté dans sa gravure « le beau Paon » un énorme sexe masculin en érection n'appartenant à personne (mon petit doigt me dit qu'il s'agit d'un symbole), devant lequel est assise une femme nue. On peut la voir au musée Felicien Rops à Namur. Peut-être Rops y a-t-il représenté le phalle de pierre qu’il avait donné à Jarry ? "Phallus déraciné, ne fais pas de pareils bonds !" écrivait Jarry dans Le Bâton à Physique, parodiant la scène du cheveu de Dieu au lupanar, dans le troisième Chant de Maldoror de Lautréamont. Ce n’est plus le phallus ailé ou pourvu de jambes de Pompéi, mais le phallus monté sur ressort. Le cheveu de Dieu a forci et s’en changé en phallus - bondissant dans le réel de Jarry grâce à un sculpteur japonais anonyme et à Félicien Rops. Phallus totémique créé par l'homme, ironisé par la calotte du mot d’esprit exagérant (Note : Jarry, dans sa vie, son mode d’intervention, son style, son propos est trop retors, trop paradoxal, trop ambigu pour être phallocrate, phallogocentrocrate ou je ne sais quoi : trickster bondissant impossible à saisir, mettant toujours à plat l’héroïsme phallique que j'evocais à propos du Surmâle), acrobate défiant les espaces, ce zob risible d’essence parodique fut ainsi capable de bondir du Japon jusqu'en France, et je ne doute pas qu’il puisse effectuer le trajet inverse, avant de s’envoler à nouveau, et encore, jusqu’au quadrillage universel le plus resserré. 

[1] Rokudenashiko, littéralement «bonne à rien» en japonais, se définit comme une artiste manko, traduction japonaise du mot vulve. C'est avec cette partie de son corps, qu’elle trouve naturelle et non pas indécente, qu’elle produit de l’art, encourageant ses concitoyennes et concitoyens à désacraliser et désexualiser cette partie du corps. Quand les agents de police débarquent au domicile de l’artiste pour la première fois, le 12 juillet 2014 à 10h30 du matin, ils embarquent aussi une quarantaine de créations autour de sa vulve.

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