furomaju

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2021年5月13日木曜日

les mots saouls d’AI Dungeon





A l’ombre, on ne voit pas le soleil.
Les enfants sont plus petits que les adultes.
De toute façon, on va tous être remplacés par des robots.


Lu récemment dans le New Yorker un article passionnant sur les progrès de l’intelligence artificielle en termes d’écriture. Je vous la fais rapidement, mais en gros le logiciel GPT-3 (ça ne s’invente pas) permet de produire du texte cohérent, singeant le style de n’importe qui, au kilomètre. Il aurait réussi à écrire une suite crédible à La Métamorphose de Kafka à partir du seul incipit, par exemple, ce qui est impressionnant, même si je suis sceptique. Alors, sans doute que pas mal de choses vont changer, ça va être pratique à l’école pour les disserts ou pour automatiser l’écriture de textes pénibles. Pour l’écriture, je ne m’inquiète pas, il suffira de maximiser le signifiant et le signifié pour mettre Gepetto-GPT en PLS. J’imagine les possibilités infinies de s’amuser avec ce séquenceur textuel, de bidouiller les paramètres pour créer toutes sortes de monstres littéraires (la syntaxe de Proust avec le lexique de Rabelais ?), des suites comme Eden Eden Eden 3 (le 2 existe déjà), de faire dérailler le logiciel en gare de Culmont-Chalindrey… De nouvelles activités vont émerger, DJ littéraire par exemple, gromancier, poète cyborg mutantiste dodécaphonique dada, hâte qu’on arrive à ressusciter l’ami Queneau qu’il nous dise ce qu’il pense de tout ça. Un nouveau chapitre va s’ouvrir dans l’écriture automatiquement générée, du poème dadaïste de Tzara au logiciel utilisé par Bowie pour écrire les paroles de je ne sais plus quel album…


Mais aujourd’hui, j’ai envie de parler d’un jeu de rôle en mode texte qui utilise l’intelligence artificielle : AI Dungeon (merci à Kismyder de m’en avoir parlé). Je me souviens vaguement des jeux de rôle textuels sur Amstrad, c’était du genre :


OUVRIR PORTE MONTER ESCALIER ALLER BOUTIQUE JO 2020 ACHETER SLIP OLYMPIQUE MANGER SLIP HURLER LUNE


Certains jeux s’arrêtaient même de fonctionner quand logiquement on se mettait à écrire injures et jurons, ou exigeaient des excuses… Le genre paraissait franchement appartenir à la préhistoire du jeu vidéo, mais en fait non. En 2019, avant la guerre de cent ans, sortait AI Dungeon sur iOS, Android et BlackBerry.


Imaginez un monde généré à l’infini que vous pourriez explorer sans limites, en trouvant continuellement des contenus et des aventures entièrement nouveaux. Et si vous pouviez également choisir une action qui vous vient à l’esprit au lieu d’être limité par l’imagination des développeurs qui ont créé le jeu ? Bienvenue dans AI Dungeon !


AI Dungeon est un jeu d'aventure texte (open-source, bravo) qui utilise le modèle de génération de texte GPT-2 pour générer des intrigues ouvertes et illimitées. Le jeu utilise l'intelligence artificielle formée sur les jeux de chooseyourstory.com pour générer des réponses complexes aux entrées des utilisateurs. Lorsqu'un joueur commence une partie, il est invité à choisir un genre d'histoire, parmi fantasy, apocalyptique, cyberpunk, zombies ou mystère, ou bien parmi d'autres scénarios prédéfinis. Le jeu génère une partie, puis le joueur saisit des commandes de texte, qui permettent de faire évoluer un personnage incarné par le joueur à la deuxième personne. Dans la plupart des actions, l'IA répond en conséquence.



Ce qui me plaît beaucoup dans ce jeu sauvage et charmant, ce sont les nombreuses défaillances de l’IA. On a l’impression de faire une session de jeu de rôle avec un maître de jeu complètement ivre et/ou fou. Si les parties commencent souvent à peu près normalement, très vite tout part en vrille virevoltante. On ne sait plus qui est qui, les personnages changent de nom, les pronoms personnels s’intervertissent, on change d’univers sans préavis, on est pris dans des boucles infinies… C’est merveilleux, parce qu’on ne sait pas à quoi s’attendre. Tout est possible, et comme sur le billard de David Hume, les boules peuvent s’envoler n’importe quand, ce n’est plus de la fantasy ou de la science-fiction mais de la fiction hors-science. Coq-à-l’âne baroco-burlesque, onirisme haut débit, obscénités décomplexées… Aucune loi n’est stable, tout peut se métamorphoser à chaque instant, un peu comme dans… le réel et ses chemins qui bifurquent. AI Dungeon, comme la poésie de Benjamin Péret, est avant tout réaliste, j’en suis certain. Quand le coulommiers de la réalité a fondu, on se retrouve dans le monde d’AI Dungeon, en compagnie d’Alice et du sourire sans chat. Seule différence : l’absence complète de conséquences. On peut vraiment y aller franco de porc, faire ce qu’on veut, la sensation de licence est extraordinaire. Ça m’a fait penser à Un jour sans fin, quand le personnage principal commence à faire n’importe quoi (c’est un arc que le film aurait gagné à approfondir, à mon avis, plutôt que de virer conte moral). Quel exutoire ! De toute façon, j’aime les jeux qui permettent de ne pas sublimer ses pulsions, mais de les assumer : Destruction Derby, Rampage, King of the Monsters (tu le vois l’Arc de Triomphe ? Eh bim, prends-le dans ton visage !), GTA bien sûr, Blood (qui s’en souvient ? Ça allait vraiment loin), Sim City (celui sur Super NES, dans lequel on peut envoyer Godzilla tout casser), Jet Set Radio et son vandalisme coloré… Politiquement aussi, je crois qu’il est grand temps de détruire des mondes, parce que là on n’en peut plus (est-ce que le ras-le-bol est considéré comme une comorbidité ? Si oui je voudrais être vacciné le plus rapidement possible) - AI Dungeon, par la tangente, nous reconnecte à ce qui nous manque le plus dans cette période pénible : l’utopie, la possibilité de bifurquer. Bon, on va encore dire que je délire, comme d’habitude !



Et puis aussi : la lecture redevient ce qu’elle a toujours été : un jeu, mi-fun mi-sérieux, mi-crétin mi-profond. Ça donne plein d’idées. Pour la littérature, la poésie, les paroles de chansons, je sens que GPT pourrait donner des résultats amusants, imprévisibles. On pourrait aussi écrire une histoire bien loufoque, excessive, pas conforme et dire « c’est pas moi c’est l’IA »! L’IA avec 3 grammes dans le sang devient tout de suite plus sympathique, comme si on avait plaqué du vivant sur du mécanique. Je ne raconte pas ce que j’ai vécu dans ce jeu, pas envie de voir la brigade des mœurs ni le GIGN débarquer chez moi. Vous pouvez vraiment imaginer le pire. Ou le meilleur, si vous êtes amateur de Zardoz, de Georges Bataille, de David Lynch et de Pif Gadget.


PS : le titre de cet article est un clin d’oeil au dernier recueil de poèmes de Mickaël Berdugo.