Premier jour à PP (notes en vrac)
Tendance compréhensible : ramener l’inconnu au connu. Barbe sous / sur drap’s, sparadrap’s qui colle aux doigts. Comment faire pour s’en défaire ? La précision descriptive, la comparaison qui rapproche et éloigne en même temps, le mot dans la langue d’origine sans explication (coin VIP connoisseur), le mot d’origine suivie d’une traduction plus ou moins exacte, le mot-valise, tout l’open-bar du néologisme ou bien accentuer n’importe comment, n’importe commence, ce que ces solutions peuvent avoir d’insuffisant. Grâce à mes pieds, mes yeux et mon intuition pifomètrique, knyom (je) peux m’orienter facilement dans la ti-krong (ville). C’est-à-dire faire des dérapages contrôlés dans le chuis paumé. Contrairement à Tokyo, les rues ont des noms : je remarque une rue Pasteur et une rue Jean Comte (qui est-ce ? On dirait la chute d’une blague potache : monsieur et madame Slipsapendouille ont un fils, etc.) Pour traverser je me projette et chop (m’immobilise) puis avance tek-tek (lentement), pas toujours dans cet ordre. Si les scooters et les laan (voitures) pensent que je suis une grosse planche de bois à la dérive, ils m’évitent. Ne presque rien faire, mais que presque rien ne soit presque pas fait et la traversée se passe presque bien. J’ai vu des baguettes de pain luisantes et grahom (rouges) comme des grands nez enrhumés. Des grenouilles crucifiées. Des seiches qui sèchent sur un fil. Les calèches motorisées s’appellent tuk-tuk, chaque jour j’entends ces deux syllabes un grand nombre de fois, orchestre de percussions techno-hardcore déclenché par mes pas dans la ville ; Evil Grimace pourrait en faire quelque chose. TUK TUK TUK TUK TUK TUK TUK TUK C’EST TONTON LA DECOUPE. Quand il fait très gdau (chaud) des chauffeurs dorment dans leur calèche sur la partie supérieure d’un étroit baldaquin sans sommier (hammac). Une machette découpe, mue par le cerveau et les muscles d’une dame, une olive dure de grosse taille dont je bois le dtokdong (lait de coco). Une chair blanchâtre se change en vermicelles, un chaton course une poule, des hommes en toge safran passent : ils ont peu de cheveux. Les sourires sont gratuits ; quand un m’est adressé, j’arrête de flouter le monde de mes pensées et je souris aussi, en regardant le visage. Difficile de ne pas penser à l’ancrage de la bia (bière). Le Fuji, fusil de la mort, vu de l’avion : l’anus polaire. L’aéroport de PP on dirait NRT ou un CDG tout prop. J’entends plusieurs fois des voix qui prononcent mon prénom, qui m’appellent quoi : moins de raison (fatigue du vol) et moins de réel (dépaysement brutal) égalent plus de fausses sensations (auditives) ; pas mal l’équation, voir si je peux la transposer. J’essaie d’attraper les sra (voyelles) en orbite autour des consonnes : canne, limace, poil isolé, gros dos, cigare tordu tournant autour d’un serpent ou d’une belle excentrique aux membres mous et flexibles.
Le marché Orussey n’est pas le célèbre marché russe, je me suis trompé en raison d’une homophonie vague. C’est un marché populaire, fréquenté exclusivement par les habitants de la Colline de madame P. On y trouve des épices diverses dans des sacs écrus, plus loin des jouets, des costumes de mariés, des étoffes. Dans la rue, des stands s’improvisent sur des feuilles d’arbre. Le nom Orussey me fait penser au musée d'Orsay ; j’aimerais visiter un musée tout en faisant des provisions d’épices variées. En buvant des coups. Orsay était bien une gare, alors pourquoi pas un musée-marché. Sérieux décloisonnons, plus on hybridera plus la vie aura du goût, moins on se fera iech la beuteu. Les marchés manquent d’art, les musées manquent de stands improvisés et d‘épices et de gens qui parlent fort. Beaucoup de poubelles entassées un peu partout, ça sent mauvais mais je sais qu’on aime tous les poubelles quand on est enfant ; jouer dans les poubelles. Une artiste a lacéré et peint à l’encre et au charbon des cartons troués, calcinés : souvenirs d’enfance dans le Cambodge en guerre. Un autre a érigé un portique en plastique : franchir le gaspillage ? Entrer dans le royaume du déchet non-recyclable ? Un autre a changé les ramasseurs de déchets en déchets humains (humains-canettes broyées, humains-bouteilles plastique, humains-cartons), ou a mis la photo de leur visage sous grillage. C’est violent et pas réaliste et pas consolant mais juste, un artiste n’est pas un maître-pommadier. L’autre playmobil emphatique évoquait, entre autres petites phrases de mépris néantisant, « ceux qui ne sont rien » ; il faut lui (enfin pas qu’à lui) renvoyer sa phrase dans la face, disons à hauteur du cou, comme un boomerang ultrafin, mais tranchant. Un nain vert sorti de nulle part viendra lui shooter dans la tête (comme dans Barbarian sur Amstrad CPC). Un autre artiste a mis dans une boîte transparente les emballages de tout ce qu’il avait ingéré ou fumé en un mois. Un autre encre des lotus ramassés au sol après des cérémonies religieuses. Un libraire vendait des chaussettes, qui palpitaient au vent devant les livres. J’ai du mal à comprendre pourquoi mais l’expérience est bonne, comme Twin Peaks saison 3, et je me dis qu’il y a sans doute un lien entre livre et chaussette, c’est peut-être une mise en garde : ne lisez pas comme des pieds, faites quelque chose de vos lectures, ou au contraire : que les livres vous fassent marcher, qu’ils guident vos pieds dans les rues, pensez avec vos pieds et sortez, les pieds tatoués de mots. Le quartier des coiffeurs à ciel ouvert : l’un d’eux m’invite à m’asseoir ; il sourit en ouvrant ses ciseaux. Mon inconscient à ciel ouvert (= légèrement parano) me dit de partir viteuf. Entre les feuillages diffuso-touffus et les câbles électriques pendouillo-grégaires, je redécourvre une ville hirsute, velue. J’aime les villes dont le coiffeur est en croisière. Au « café 3D » en face du sage marché central, je commande un café au lait en khmer de cuisine (« je veux boire un café avec de l’eau de vache, c’est possible ?») ; ça marche, le café arrive, en 3D comme promis, avec du lait dedans et j’ai l’impression d’avoir feinté le père Fourras. Vu un chapeau désolidarisé de tout crâne, à côté d’un marchand de petits poissons colorés. Des cerfs-volants accrochés à un vélo abandonné (?). Un chien maigre regardant des hommes torses nus jouer au billard, dans une arrière-cour. À quoi penses-tu... Je rêve de Proust au Cambodge. De Sei Shonagon au Cambodge. Par contre je me dis que le capitaine Haddock y aurait un court-circuit de la glotte. Quoique... Centres commerciaux pour nouveaux riches, quartiers en carton pâte à moitié vide, moches, indécents, violents, donnent envie de d-fek par terre des étrons en forme de point d’interrogation colorés (note pour plus tard : faire une recherche sur Google pour connaître ce qui faut manger pour colorer son ca au carré). Ça serait assez stylé un système de transcription du khmer à la Hepburn, avec des accents, ou un truc comme pour le japonais qui aiderait les débutants et serait mieux que les multiples transcriptions actuelles qui pédalent dans la choucroute floue (la floucroute). Feu ? Pas feu ? La plupart ici s’en foutent et roulent, traversent à la one again. C’est très bien ; on n’est pas obligé d’obéir aux règles, aux lois, on peut les ignorer, les discuter, les refuser, leur dire allez vas-y casse-toi sur Mars. J’ai vu pas mal de petits vieux jouer passionnément aux échecs (ou assimilé, pièces massives, stylisées), car dans le jeu non seulement on accepte les règles, mais elles font plaiz. Au Japon, beaucoup de panneaux d’interdiction. Ici presque aucun. Le street art : panneaux d’inspiration. Sur un compteur électrique, plein de numéros (de téléphone ?). Quelqu’un a collé en surplomb un sticker « j’existe » (en français). Autre sticker ; une femme avec des bouteilles vides qui lui sortent de la tête. Magasin de lingerie Dada. UFO store. Des motos charrient des gros bouts de métal. Quel est ce vélo que l’on pédale avec les mains ? Et ces planches mobiles de petits coquillages ? Que dit la chanson enregistrée du boulanger ambulant ? Soupe rouge servie dans la coupe longitudinale d’un donut métallique agrandi 4 fois. Gros bâtiment jaune or qui pète les yeux. La nuit des rayons colorés le parcourent. Il y a des ronds points. Cabaret douteux « voulez-vous » avec photos hideuses. Hier soupe de nouilles avec des fleurs jaunes dans la soupe verte. T-shirt blanc « david bowie rock n’roll ». Mur blanc parcouru par 4 lézards blancs
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